Les tactiques commerciales de la Chine l'emportent sur la diplomatie et la puissance militaire américaines en Asie du Sud-Est

CGTNF 2022-01-18 21:06:55
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* Alors que les États-Unis cherchent à accroître leur présence en Asie du Sud-Est par le biais de la diplomatie, la Chine préfère joindre l'acte à la parole avec des investissements et des accords commerciaux.

* La création du RCEP et l'augmentation du commerce Chine-ASEAN à presqu'au double de la valeur des échanges entre les États-Unis et l'ASEAN suggèrent que l'approche de Beijing fonctionne.

La Chine a réussi à approfondir ses relations avec Singapour le mois dernier, en signant 14 nouveaux accords lors d'une réunion annuelle de coopération bilatérale tenue le 29 décembre.

Beijing est active en Asie du Sud-Est depuis les années 1990, et devient un partenaire de dialogue de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) en 1996. En novembre 2020, les dix membres de l'ASEAN ont signé le Partenariat régional économique global (RCEP) dirigé par la Chine, le plus grand accord de libre-échange au monde impliquant plusieurs grandes puissances, mais avec l'absence notable des États-Unis.

Certes, les États-Unis restent une puissance géopolitique centrale, avec des alliés au Moyen-Orient, en Asie, en Europe et dans le Pacifique. L'absence de grandes puissances militaires en Asie du Sud-Est a également aidé les États-Unis à acquérir une assise géopolitique dans la région.

D'autre part, la Chine a renforcé sans relâche la production, le commerce et les investissements à la fois en Asie du Sud-Est et dans le monde, devenant une puissance géoéconomique en renforçant les relations par le biais de partenariats économiques et de relations commerciales.

Le « Pivot vers l'Asie » de Barack Obama, plutôt que d'être axé sur l'économie, reposait davantage sur une approche militaire robuste visant à contenir la Chine. Puis vint la politique de « l'Amérique d'abord » de Donald Trump qui a vu les États-Unis sortir du partenariat transpacifique, portant atteinte à sa politique et ses relations économiques avec l'Asie du Sud-Est.

Le président américain Joe Biden a maintenant la tâche ardue de corriger cette trajectoire. Bien qu'un engagement de haut niveau ait été initié, il reste encore beaucoup à faire pour regagner la confiance de la région dans la cohérence et la fiabilité des politiques américaines. La position ferme des États-Unis contre les autocraties en Asie du Sud-Est a également indirectement profité à la Chine, qui reste indifférente aux problèmes humanitaires.

Les eaux contestées de la mer de Chine méridionale sont un autre problème en jeu. La Chine demeure une préoccupation en matière de sécurité pour de nombreux pays membres de l'ASEAN, mais étant donné l'énorme investissement direct et l'aide au développement prodigués par la Chine, il est peu probable qu'ils se positionnent contre Beijing.

Les analystes ont plutôt fait allusion à un potentiel partenariat stratégique global entre l'ASEAN et la Chine – y compris des pays contestant les revendications agressives de Beijing dans la mer de Chine méridionale – qui pourrait encore stimuler davantage les investissements, le commerce et même les liens militaires, tout en affaiblissant l'influence américaine dans la région.

Comprenant que la sécurité économique créée par le commerce dure plus longtemps que celle créée par la supériorité militaire, la Chine a habilement géré les relations avec l'ASEAN en renforçant les liens économiques avec de nombreux alliés traditionnels des États-Unis.

Malgré les tensions avec le Vietnam, le nouveau système de métro du pays à Hanoï est de fabrication chinoise. L'Indonésie, considérée comme une alliée importante par Washington, s'est également ouverte à la Chine ces derniers temps, propulsée par la diplomatie pandémique de cette dernière. L'année dernière, les deux pays ont signé un accord pour promouvoir l'utilisation de leurs devises respectives dans les accords commerciaux, réduisant ainsi la dépendance au dollar américain.

L'Australie, une alliée historiquement proche des États-Unis avec des partenariats de sécurité comme Aukus, a également ratifié le RCEP. Même si l'Australie a interdit aux entreprises de télécommunications chinoises de fournir la technologie 5G et que les exportations australiennes vers la Chine sont confrontées à des obstacles liés à l'entrée sur le territoire, les investissements chinois ont augmenté au fil des années pour faire de la Chine le plus grand partenaire commercial de l'Australie, avec 261 milliards de dollars américains circulant chaque année entre les deux.

La Chine a fait d'énormes progrès pour devenir un acteur majeur sur le marché international. Des accords de libre-échange tels que le RCEP l'ont aidée à s'implanter dans la région indo-pacifique. Alors que les États-Unis sont engagés dans la diplomatie, la Chine joue ses cartes avec des accords d'investissement dans les infrastructures.

L'ASEAN est devenue le premier partenaire commercial de la Chine en 2020, battant l'Union européenne. L'ASEAN attire les investissements directs étrangers chinois dans de nombreux secteurs, de l'agriculture à l'industrie manufacturière, en passant par les économies numérique et vertes. Les investissements entre l'ASEAN et la Chine dépassent désormais les 310 milliards de dollars américains. Le commerce total en 2020 est passé à 685,28 milliards de dollars américains, alors que pour le commerce entre les États-Unis et l'ASEAN, ce chiffre s'élevait à 362,2 milliards.

Même en ce qui concerne le Quad, qui comprend les États-Unis, le Japon, l'Australie et l'Inde, la Chine entretient de solides relations commerciales avec tous les membres, à l'exception des États-Unis. Les exportations du Japon vers la Chine se sont élevées à 141,4 milliards de dollars américains en 2020, soit environ un cinquième de ses exportations totales, dépassant les États-Unis.

La Chine a également brièvement dépassé les États-Unis en 2020 pour devenir le plus grand partenaire commercial de l'Inde, lui fournissant des machines lourdes, des équipements de télécommunications et des appareils électroménagers - bien que les États-Unis aient réussi à retrouver leur première place l'année dernière dans un contexte de ralentissement de la croissance du commerce bilatéral sino-indien.

Les relations commerciales américano-chinoises, quant à elles, sont de plus en plus tendues. Washington continue d'imposer des droits de douane sur les importations chinoises, démantelant ainsi la position de la Chine en tant que premier partenaire commercial des États-Unis.

La stratégie diplomatique de Beijing ne peut être dissociée de sa politique économique. La Chine a attiré des pays de l'Indo-Pacifique par le biais d'importants accords d'investissement dans les infrastructures - en particulier dans le cadre de son initiative « la Ceinture et la Route » - , d'aides au développement et d'investissements étrangers.

Des blocs économiques tels que le RCEP apporteront davantage de partenaires à la Chine, ce qui donnera aux États-Unis une rude concurrence. La Chine ne s'est pas engagée dans la diplomatie « douce/dure » traditionnelle, mais a plutôt adopté une stratégie visant à renforcer les relations géoéconomiques, tout en suivant une politique de non-ingérence intérieure.

Les États-Unis sont en train de rattraper leur retard alors qu'ils travaillent sur un cadre indo-pacifique global pour renforcer la coopération autour du commerce et de l'économie numérique, des chaînes d'approvisionnement résilientes, de la décarbonisation, des infrastructures et d'autres domaines d'intérêt commun.

Avec des divisions intérieures persistantes aux États-Unis, qui se sont souvent répercutées sur le commerce et la politique étrangère, il faudra plus qu'un engagement diplomatique et des mots visant à rassurer pour que les États-Unis puissent être de taille pour affronter un adversaire qui n'a aucun groupe d'intérêts à satisfaire chez lui, ni aucune incertitude par rapport à la continuité de son leadership politique ou à la cohérence de ses politiques.

Le professeur Syed Munir Khasru est président du groupe de réflexion international The Institute for Policy, Advocacy, and Governance (IPAG) avec une présence à Dhaka, Delhi, Melbourne, Vienne et Dubaï.

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